Escroquerie : mode d'emploi
- michelisenzo
- 7 avr.
- 7 min de lecture
Produit d’épargne avec rendement supérieur à 5% annuel, sans risque de perte de capital, intérêts mensualisés, fonds retirables à tout moment, sans frais, par le biais d’une gestion privée de liquidités sur un livret d’épargne, éventuellement corrélé à des performances boursières, par des prestataires qui ne vous demandent aucun justificatif de domicile, et sans base contractuelle écrite : il n’existe qu’un seul placement qui permet d’atteindre ce ratio avantages/inconvénients : l’escroquerie.
Quelles sont les méthodes employées par les auteurs de ce type nouveau et raffiné d’arnaque, et, surtout, comment remettre la main sur les sommes déposées ?
Entre ubérisation financière et sur-mesure de la relation client : le prétexte du produit d’appel
C’est sous couvert de présenter un produit d’exception, limité dans le temps et, soi-disant, dans le nombre de ses bénéficiaires, que les concepteurs de ce type d’escroquerie baissent la vigilance de leurs victimes pour les détourner du guichet des agences physiques ayant pignon sur rue.
Car même les fonds d’investissement les plus réputés ne parviennent que difficilement à générer des rendements supérieurs au rendement annuel moyen mondial des actions, qui est de 5% environ.
Au-delà, les performances ne peuvent venir que de l’acceptation d’un taux de risque élevé, ce qui nous rapproche de la figure des effets levier, et/ou de l’engagement à ne pas retirer les fonds rémunérés avant terme, ce qui nous rapproche de la figure de l’obligation.
En feignant de contourner ces réalités financières, par des produits miracles vers lesquels les Etats eux-mêmes se tourneraient tous volontiers, les auteurs de ces manoeuvres laissent entrevoir le premier indice de la vérité.
Ils jouent sur l’idée quelque peu en vogue de dépassement du vieux monde des institutions financières, le monde des horaires de bureau, de la paperasse, le monde de la monnaie, pour proposer à la victime des services accessibles à tout moment, bien plus diversifiés que les produits bancaires traditionnels, dans un tête à tête qui n’est plus celui du client et de la règlementation, mais celui de l’investisseur et de son gestionnaire. C’est cette impression de facilité et de courtisanerie téléphonique qui doit mettre en alerte la victime de cette escroquerie.
A ce stade, il faut formaliser la méfiance que mérite ce type de démarchage autour de plusieurs questions non plus seulement financières mais juridiques :
la structure à laquelle ces opérateurs prétendent appartenir est-elle habilitée à proposer des produits d’épargne, pour le droit français au sens des dispositions des articles L221-1 et suivants du Code monétaire et financier ?
si votre interlocuteur prétend appartenir à l’une de ces formes juridiques, peut-il justifier de la documentation afférente (statuts, agrément bancaire, justificatif de délivrance du capital, justificatif de garantie financière…) ?
enfin la structure à laquelle prétendent appartenir ces opérateurs propose-t-elle bel et bien, en vertu de sa règlementation interne, les produits et services en question ?
Mais plus encore que ces considérations, c’est le narratif de cette escroquerie qui permet de la dévoiler. Ses auteurs suivent un scénario relationnel bien rodé, une succession d’étapes flattant à la fois l’égo, la curiosité, l’appât du gain et le sentiment de familiarité de la victime.
Leurs modes d’interaction sont l’appel téléphonique et l’échange par e-mail.
Tout commence par l’appel entrant d’une soi-disant standardiste, le plus souvent une femme, sociologie oblige, qui vous présente les grandes lignes du produit miracle.
Cette première étape vise à programmer un rendez-vous téléphonique ultérieur avec un soi-disant analyste, qui vous fera savoir si la soi-disant commission en charge d’instruire votre soi-disant dossier donne son soi-disant aval.
La deuxième étape est donc la confirmation que votre dossier a été retenu. Ce second appel téléphonique vise à programmer un troisième rendez-vous téléphonique au cours duquel se concrétisera la création de votre compte. Le nom et le numéro de téléphone de votre soi-disant gestionnaire vous sont communiqués. Après vous avoir demandé quel jour vous convenait pour ce rendez-vous, on vous répond que celui que vous avez choisi est un peu chargé (suis-moi, je te fuis…), et l’on vous contrepropose un autre créneau.
Vient l’étape finale : la prise de contact avec votre gestionnaire, votre homme de main, votre conseiller personnel. Celui-ci vous invite alors à vous connecter sur le site de son établissement financier, pour vous y inscrire, et vous décrit au téléphone les pages Internet qui apparaissent devant votre écran, avec ses informations de profil, et en se ventant d’avoir quitté le Crédit Agricole ou la BNP il y a sept ans pour des lendemains financiers meilleurs.
Il vous communique alors un RIB sur lequel vous pouvez faire transiter les fonds. A ce stade, aucun justificatif de domicile ne vous a été demandé, comme pourtant les établissements financiers sont tenus d’en récolter au titre de leurs obligations LCB-FT.
C’est alors que vous pouvez voir le montant que vous avez viré fructifier peu à peu sous l’égide de votre conseiller. Le placement est fait, l’infraction consommée.
La puce à l’oreille vous viendra lors d’un appel non prévu quelques jours plus tard, au cours duquel votre gestionnaire fera deux choses : vous proposera de « lâcher » des fonds supplémentaires au vu des performances déjà réalisés, et vous appellera par votre prénom.
A ce stade, le seul moyen de faire transiter les fonds dans le sens inverse, vers votre compte bancaire, est de déposer copie de votre RIB et de fournir vos coordonnées de carte bancaire...
A ce stade, votre argent est perdu.
L’identification des auteurs : l’enclume et le marteau de la justice
C’est alors qu’intervient la seconde partie : la rédemption du mal, par le ministère de l’avocat. Ce placement n’est plus financier mais juridique. Il s’agit d’un investissement sur le long terme, coûteux et difficile, mais à la différence du premier, cet investissement n’est pas une escroquerie.
Derrière leurs faux noms et leurs faux sites, les auteurs de cette arnaque laissent des traces, car les numéros de téléphone, les adresses e-mail et les coordonnées bancaires qu’ils utilisent sont bien réels quant à eux. Vous avez des connaissances communes avec ces escrocs : leur opérateur téléphonique, l’hébergeur de leur site web, et leur banque.
Ces connaissances communes sont la première étape du parcours que vous devez suivre pour retrouver votre argent. Car elles seules connaissent l’identité véritable de ceux qui ont été vos interlocuteurs. Car ces derniers ne sont pour elles que de simples utilisateurs.
Il n’y a qu’un seul moyen par lequel un opérateur téléphonique, un hébergeur de site et une banque peuvent être contraints de fournir le nom, le prénom, l’adresse et la copie des documents d’identité de vos arnaqueurs : y être requis par l’autorité judiciaire.
En ce sens, votre démarche préalable doit être de vous servir, au choix, soit du déclenchement d’une enquête pénale, soit de mesures d’instruction légalement admissibles au civil.
L’enquête pénale, si vous étiez amené à la déclencher par le biais d’une plainte, soit à la police, soit directement devant le Procureur de la République, prendrait la forme en l’occurrence d’une enquête préliminaire.
Quant aux mesures d’instruction, c’est en la forme d’une requête, adressée au Président du Tribunal judiciaire, que vous pourriez les demander. Tout en ayant à l’esprit que dans le procès civil, les mesures d’instruction sont une exception faite au principe du caractère contradictoire de l’instruction, c’est-à-dire au fait que ce sont aux parties elles-mêmes de fournir les pièces venant appuyer leurs prétentions, et non au juge de le faire à leur place.
Mais, précisément, pour que ce procès existe, encore faut-il savoir à qui vous devez le faire. Ainsi, dans le cas particulier où vous ne connaissez pas l’identité de celui que vous voulez attraire en justice, vous pouvez vous servir d’un mécanisme très efficace du Code de procédure civile, le référé probatoire.
Cette mesure est subordonnée à plusieurs conditions : que le procès ne soit pas déjà en cours, que la preuve demandée soit utile au succès de la prétention alléguée, et qu’elle soit légalement admissible, c’est-à-dire proportionnée.
Si néanmoins vous souhaitez engager à la fois une procédure pénale et une procédure civile, la première ayant pour objet d’identifier les auteurs de l’infraction et de vous faire indemniser, la seconde ayant pour objet de vous faire indemniser, vous devez prendre la précaution de ne pas indiquer au juge des référés l’existence d’une enquête pénale, car alors le juge des référés pourrait pourrait y trouver prétexte, plus ou moins légalement d’ailleurs, pour ne pas vous accorder votre ordonnance, en faisant valoir qu’un procès existe déjà, et/ou en faisant valoir que les mesures demandées ont leur place dans le cadre d’une enquête pénale et non civile. Naturellement, ce genre de raisonnements s’exposerait à cassation, mais le temps de l’appel vous ferait déjà perdre plusieurs mois.
La demande que vous allez adresser au juge des référés devra donc être circonstanciée, dans le temps, dans l’espace, et, bien sûr, dans son étendue. Vous devrez, concrètement, demander au juge qu’il ordonne aux plateformes que vous aurez identifiées (France Télécom, Netflix, Meta, Bouygues etc) de vous communiquer les informations d’identité des utilisateurs qui sont associés à tel numéro ou à telle adresse e-mail ou à tel relevé bancaire.
Le juge des référés mettra quelques semaines à rendre sa décision.
Vous pouvez, pour plus de célérité, le saisir par requête et non par assignation, ce qui vous évitera de payer une signification d’huissier, et d’attendre les arguments de défense de la partie adverse, le défendeur (Netflix, France Télécom, etc), auquel vous demandez simplement des informations.
Pour agir sur la base d’une requête et non d’une assignation, il faut démontrer l’existence d’un risque de déperdition des preuves. Il faut explicitement mentionner dans la requête que l’assignation serait un procédé inadapté au succès de la prétention soumise.
Dans l’exigence de rigueur que demande ce mode de saisine, vous devez également joindre un projet d’ordonnance, que le juge des référés n’aura qu’à signer, et donc inclure dans ce projet d’ordonnance le nom d’un huissier qui sera éventuellement chargé d’exécuter les mesures d’instruction telle que la consultation d’un fichier, numérique. Attention à veiller au respect des règles de compétence territoriale de l’huissier.
Une fois votre ordonnance obtenue, même s’il s’agit du cadre d’un référé probatoire, on tombe tout simplement dans le registre du droit commun des procédures civiles d’exécution.
L’ordonnance doit être notifiée aux opérateurs afin que ceux-ci, spontanément de préférence, s’exécutent et vous communiquent enfin l’identité de ceux qui ont utilisé leurs services pour vous arnaquer.
Ce n’est que par résistance du défendeur que le recours à un huissier pour pratiquer l’exécution forcée de la mesure d’instruction se justifie. Vous devrez alors confier la récolte de ces informations à un huissier, qui vous demandera copie exécutoire de l’ordonnance. Ce dernier contactera donc les plateformes, et, au besoin, se déplacera sur site pour récupérer les informations auxquelles la justice vous aura donné droit.
Si l’enquête pénale permet de requérir des informations sans autorisation d’un juge, et sans frais pour la victime, son déroulement lui échappe totalement cependant, puisque seule l’autorité d’enquête, dans ses pouvoirs de réquisition, serait amenée à récolter les informations manquantes, selon un calendrier, selon une organisation, selon une bonne volonté dont elle seule a le secret.
En somme, chaque type de procédure a les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités. On préconisera tout de même plutôt la procédure civile que la procédure pénale. L'efficacité d'une enquête pénale peut parfois se rapprocher de celle de La Poste.
Enzo MICHELIS
Avocat au Barreau de NICE
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